Comme à mon habitude, le choix de notre chasse nocturne n’a pas été laissé aux membres de mon groupe. Mon avis unilatéral a été imposé et, depuis, je dois écouter les victimes de cette décision râler comme s’ils tentaient de m’émouvoir et de me faire changer d’avis. Pourtant, depuis le temps, ils devraient savoir qu’ils ne pourront pas y parvenir. Depuis que j’ai été nommé chef contre mon gré, je trouve un malin plaisir à chasser dans les lieux qui ont le plus besoin d’assistance. La gloire ne m’a jamais attiré d’une quelconque manière. Être chef non plus, soit dit en passant. Pourtant, je ne cesse d’être mis sur des pieds d’estale et d’avoir toujours plus de responsabilités. Un peu comme si tous étaient sourds à mon avis. Alors pourquoi écouterais-je celles concernant mes décisions ? Je ne souhaite pas faire du mal autour de moi, mais je ne ressens aucune envie d’aller à notre mort juste pour un prestige que nous ne sommes même pas sûr de recevoir. Je préfère aider autrui à la place, ce que personne ne semble comprendre.

Cela doit faire des heures que je supporte les plaintes continuelles qui ne me sont pas toujours adressées directement. Le seul qui me paraît compréhensif, à moins que je sois celui qui ait des oeillère le concernant, est Huǒ Yù Tiān. Mais, même si ça pouvait me consoler pendant un temps, je commence à être vivement agacé par le comportement grandement puérile de mon équipe. D’autant plus que l’heure n’est pas aux plaintes, mais à la concentration puisque nous ne sommes pas loin de notre but. Je m’arrête donc brusquement pour me tourner afin de leur faire face. Mon regard passe sur chacun d’entre eux alors que je lui demande :


Le prestige vaut tant que ça à vos yeux ? Aider ceux qui sont dans le besoin n’est-il donc pas suffisant pour vous ?

Evidemment, j’aurais dû me douter que la réponse ne serait pas positive. Mon regard se fait alors plus dur, toute gentillesse et compréhension ayant déserté mon expression pour la première fois depuis fort longtemps. Beaucoup se seraient sans doute imposés bien plus tôt, mais ce n’est pas mon genre. En vérité, je suis désespéré de constater que tout le monde court après la gloire au lieu de penser au but premier de notre formation. La raison pour laquelle nos talents existent. Alors, fermement, déçu, je leur réponds :


Dans ce cas, si aider les personnes qui ont besoin de nos services car ils ne peuvent pas s’en occuper eux-même, vous n'êtes pas fait pour être cultivateurs.

Sans plus de cérémonie, je cesse de les écouter et me détourne pour continuer à avancer. Je ne suis pas en colère. Ma réaction n’aurait sans doute pas été si molle si tel avait été le cas. Cependant, je ne peux nier que je suis extrêmement déçu et je peux comprendre que notre maître fasse preuve d’une grande sévérité et d’intolérance concernant le suivi de nos règles. Où se trouve donc la droiture dans leur comportement ? Mais… ne suis-je pas également à blâmer de ne pas les écouter un peu plus ? Je me le demande. Après tout, eux aussi ont le droit d’avoir leur avis. Ils ont le droit d’avoir des envies. Mais cela prime-t-il sur la vie et la sécurité d’autrui ? Je me sens mal à l’idée que je puisse me poser une telle question. Je ne suis vraiment pas fait pour être chef. Je n’ai pas les épaules pour supporter une telle pression.

Malgré mes efforts pour ne pas écouter, je ne peux qu’entendre que la conversation continue sans moi. Je suis même hors de celle-ci, les trois disciples récalcitrants ayant décidé de chercher assistance vers Huǒ Yín Húdié pour me faire entendre raison. Mon agacement me semble loin de se calmer quand j’entends finalement que j’ai un allié. Leur demande se retourne contre eux, la réponse obtenue étant que s’ils ne sont pas contents de mes décisions ils peuvent tout aussi bien aller voir ailleurs si nous y sommes. De manière moins polie, mais je ne demanderais pas à mon ami de surveiller son langage. Je ne pense pas y être habilité. Puis je suis trop heureux de ne pas devoir me battre plus que nécessaire alors que nous avons déjà fait tout ce chemin. Il est trop tard pour faire demi-tour depuis belle lurette.

Cet ami avec qui je me disputais il y a encore peu de temps de cela vient à mes côtés. Le cœur plus léger, je laisse un léger sourire étirer doucement mes lèvres alors que je repense aux détails de la mission. Une mission aux allures très simples et qui ne demanderait normalement pas d’enquête poussée. Pourtant les détails échappent vraisemblablement à Huǒ Yín Húdié qui me les demande. Ne sachant pas à quel point il les ignore, je lui réponds après un bref coup d’oeil sur sa personne décontractée :


Il y a environ une semaine, des villageois ont envoyé une lettre au clan en demandant l’aide de cultivateurs pour apaiser les morts de leur cimetière. D’après leurs dires, ils entendent toutes les nuits des gémissements provenant de cet endroit précis et certaines personnes auraient même croisé des rôdeurs. Ce n’est normalement pas si dangereux, mais il n’est jamais bon de laisser autant de rancœur s’accumuler.

Ce que je crains c’est que l’un de ces rôdeurs finisse par devenir un cadavre féroce ou que quelque chose de pire vienne à faire surface. Comme un monstre, par exemple. De toute façon, j’estime que ces pauvres villageois ont attendu plus que nécessaire et qu’ils ne méritent pas de vivre plus longtemps dans la peur. Personnellement, je ne voudrais pas me trouver à leur place, incapable de me défendre contre quelque chose que je ne comprends pas. Contrairement à ceux qui restent derrière nous comme s’ils traînaient les pieds en râlant au lieu d’écouter les détails de la mission. Finalement, je préfère me concentrer sur ma conversation avec Huǒ Yín Húdié.


Nous ne connaissons pas encore l’agencement des lieux, mais tu as une idée de la manière dont nous pourrions envisager de nous occuper de la situation ?

Je suis tout à son écoute, ayant moi-même quelques suggestions. Je préfère connaître l’avis des autres pour constater les similitudes et les différences entre nos différents points de vue avant de faire part de mes propres idées. J’espère également que les trois autres vont nous aider sans quoi je ne donne pas cher de leur avenir au sein de ce groupe. Je connais des cadets de troisième classe bien plus volontaires qu’eux trois réunis.

La remarque marmonnée par mon compère m’amène à réfléchir un peu plus à la situation. Maintenant que j’y pense, il est vrai que nous n’avons pas beaucoup plus d’informations et je me suis sans doute un peu trop précipité dans l’idée de régler rapidement le problème. Nous n’avons pas beaucoup d’informations et la remarque faite à nos trois condisciples confirme que je me suis peut-être un peu trop laissé emporter par leurs critiques. Ce n’est clairement pas digne d’un chef d’équipe. Quand je dis que je ne suis pas fait pour ça, pourquoi diable ne me croit-on pas ? A quel point faut-il être une grenouille au fond d’un puits pour ne pas voir l’évidence.

Peu attentif à la conversation qui se fait entre les membres de mon groupe, je réfléchis plus posément au problème que j’ai choisi pour tout le monde, me rappelant aussi efficacement que possible tout ce qu’on m’a appris jusqu’à aujourd’hui. Huǒ Yín Húdié a fait part d’une remarque très importante et intéressante. Pourquoi n’ai-je pas vu le problème dans la requête qui nous a été présentée ? Ai-je fait une erreur de jugement ? Pourtant je n’ai pas souvenir que les aînés m’aient fait part d’un quelconque problème et il est évident que personne ne veut s’en occuper puisque cela fait une semaine que cette requête nous est parvenue. Me voilà bien embêté…

Après avoir allègrement menacé nos pairs désormais silencieux, mon ami me demande si quelque chose a été noté concernant un quelconque changement au village ou ses environs. Une très bonne question qui me donne une bonne raison supplémentaire d’être heureux de l’avoir à mes côtés. Je ne me réjouis toutefois pas, restant grandement pensif, voire inquiet, en répondant précautionneusement à sa question :


Eh bien… je ne voudrais pas m’avancer sur la question. Personne ne m’en a fait mention quand j’ai demandé à prendre la requête et… à vrai dire… la lettre ne parlait pas de ce genre de choses. Je suppose que les villageois n’en a pas du tout pensé, ce que nous ne pouvons pas leur reprocher.

Je n’arrive pas à savoir ce que provoque ma réponse chez mon interlocuteur ou les trois autres restés silencieux, sans doute soucieux de perdre leur langue au moindre écart. Un petit coup d'œil me démontre l’évidence qu’ils sont complètement perdus face à nos réflexions. Avons-nous vraiment hérité des moins bons éléments de notre génération ? J’espère vivement que ce n’est pas le cas alors que je pose mon attention sur Huǒ Yín Húdié qui me propose une idée dangereuse et fort coûteuse en énergie. Au vu de la situation, je propose en voyant le village entrer dans nos champs de vision, aucune idée proposée n’ayant trouvé grâce à mes yeux :


La remarque de Huǒ Yín Húdié m’a mis un doute quant à la situation. Avant de prendre une décision sur la démarche à suivre, nous allons passer chez le chef du village et, s’il n’est pas trop tard, nous renseigner auprès des villageois. Ensuite nous irons enquêter dans les alentours pour trouver un indice pouvant expliquer l’éveil soudains de ces défunts. Tu as raison, Shidi, quelque chose ne tourne pas rond. Nous devrions faire preuve de prudence.

Evidemment, cela ne plaît pas à tout le monde, mais je n’ai pas à supporter les avis contraires de mes Shixiong. Je marche donc vers la maison du chef de village, ou ce que je suppose l’être, laissant les autres enquêter de leur côté une fois les salutations faites.

Etant donné qu’il s’agit d’un petit village sans prétention, je ne suis pas étonné que nous ne soyons pas accueilli en grandes pompes. D’autant plus que nous n’avons prévenu personne de notre arrivée. Bien que nos tenues soient facilement reconnaissables, il est difficile pour moi de voyager en obligeant les petites gens de nous vénérer. Nous sommes des cultivateurs et nous voyageons pour eux par choix. Pas pour la reconnaissance. Beaucoup, comme les trois membres récalcitrants du groupe, l’oubli un peu trop facilement. Toutefois, durant mon entretien avec le chef de village, il me paraît un peu trop étrange à mon goût. Acquérir la moindre information sur la situation du village est difficile et mon interlocuteur me paraît un peu trop pressé de se débarrasser de moi. Peut-être est-ce parce que je suis jeune ? La confiance est quelque chose difficile à donner pour certains, j’en suis conscient. Alors comment pourrais-je blâmer. Pourtant, un malaise persiste quand je marche dans la rue.

Après un moment, j’aperçois Huǒ Yín Húdié accompagné de charmantes demoiselles. Je ne peux pas vraiment être étonné de le voir en si charmante compagnie. Il est un très bel homme et il est normal qu’il plaise à la gente féminine. Même au sein du clan il arrive que j’entende des rumeurs sur les cultivatrices souhaitant le rencontrer et mieux le connaître. Mes sœurs cadettes en font partie, ne m’aidant pas à fermer les yeux sur ce fait. Mais le plus troublant est ce que je ressens face à cela. A chaque fois, un malaise me prend, me laissant un goût amer en bouche, comme à l’instant. Je ne dois vraiment pas être normal puisque je ne devrais pas vouloir empêcher son bonheur. Et, le pire, c’est que je ne ressens cette mauvaise sensation qu’envers lui. Peut-être devrais-je en parler à mon shufu pour qu’il puisse m’éclairer ? L’idée m’embarrasse à chaque fois que j’y pense, faisant traîner le problème en longueur depuis un moment déjà.

Ainsi, en le voyant venir à moi, deux sentiments contraires s’affrontent en moi. Le soulagement de ne pas le voir continuer à batifoler, et la culpabilité de l’avoir dérangé. Quoiqu’il en soit, je garde mes états-d’âme pour moi en me concentrant sur notre mission, Huǒ Yín Húdié m’aidant grandement dans l’entreprise. Je hoche doucement la tête pour répondre silencieusement à sa question et accueille les informations qu’il a réussi à collecter. Je soupire doucement avant de répondre avec une tension et une angoisse qui modulent légèrement ma voix :

J’ai eu sensiblement les mêmes informations et problèmes avec le chef du village. La seule différence est que l’incident serait vraisemblablement en lien avec le glissement de terrain qui a eu lieu il y a deux semaines dans les alentours du village. Je n’ai pas d’autres détails et insister n’amènera à rien. Nous allons donc devoir nous montrer extrêmement prudent… surtout si nous n’avons rien de plus.

J’hésite un instant avant de commencer à vouloir ajouter quelque chose. Je suis toutefois coupé par un shidi de notre groupe qui arrive en courant en se plaignant que les villageois sont fous et les femmes effrayantes. Agacé, je demande fermement ce qu’il a appris pour finalement apprendre qu’il n’a eu aucune autre information que celles que nous avions déjà. Je soupire doucement et nous sommes rejoints par les autres également. Lorsque nous sommes réunis, nous prenons la route en direction du cimetière et j’écoute les conversations des trois lascars qui commencent enfin à comprendre l’ampleur de la situation. J’en profite, ainsi qu’il n’y ait presque plus personne autour de nous, pour annoncer :

Ce soir nous ne ferons qu’enquêter…

Evidemment, je fais face à de nombreuses protestations. Ils ont flairé que la situation était potentiellement plus propice à la gloire que nous le pensions au départ. Il n’en faut pas plus pour que je fasse une volte face pour leur parler fermement :

Il suffit ! Nous enquêterons pour connaître la nature du problème et en parler pour décider à tête reposée si nous pouvons le gérer dans notre état actuel. Si j’estime alors que nous ne sommes pas assez préparés ou qu’il nous faut de l’aide, nous rentrerons faire un rapport. Dans le cas contraire, nous irons régler le problème après nous être reposés. Si je vois l’un d’entre vous prendre une décision inconsidérée ou agir en solitaire, je me verrais obligé d’en référer à nos aînés.

Je les regarde chacun sévèrement pour vérifier qu’ils ont bien compris mes directives avant de jeter un regard à Huǒ Yín Húdié, certain qu’il avait bien compris mais pour signifier que cela le concerne aussi. Puis, sans plus de cérémonie, j’amène tout le monde vers le cimetière pour faire un premier état des lieux. D’autant plus qu’il faut de toute façon passer par là pour voir le lieu du glissement de terrain.

Je sursaute légèrement en sentant une prise sur mon poignet. Mon regard se pose alors sur la main qui le tient et remonte jusqu’au visage de Huǒ Yín Húdié qui me traîne plus loin. J’ai comme l’impression qu’il a une expression sérieuse voire de mécontentement. N’a-t-il pas apprécié que je lui fasse le signe que mes directives le concernent également ? Veut-il m’en parler en privé ? Ce serait certainement normal, alors je le laisse faire. Et, un regard noir envoyé vers les autres, je l’entends me poser une question à laquelle je ne m’attendais pas du tout. Surpris, ma bouche s’entrouvre légèrement. Je n’ai pas oublié ce que je voulais dire, mais je ne sais pas si c’est une bonne idée de lui faire part de mes doutes. Ainsi, mon expression se fait aussi sombre que inquiète alors que je regarde vers le bas.

Je ne cherche pas à cacher ce que je pense et ressens. Il n’est donc pas étonnant pour moi d’entendre un commentaire sur le sujet. Je ne m’attends toutefois pas à ce qu’il me soit proposé de rentrer sans rien faire. Mes lèvres ses pinces alors légèrement plus jusqu’à ce que je me permette de répondre à voix basse sans tenter de me défaire de la prise toujours faite sur mon poignet :

Je ne peux pas me permettre de laisser les choses telles qu’elles le sont. Oui, j’ai un mauvais pressentiment. Mais puisque personne n’est venu vérifier à part nous, je ne peux pas prendre le risque de laisser ces villageois avec un problème qu’ils ne peuvent vraisemblablement pas gérer par eux-même.

Et ce, même si personne ne semble être en mesure de bien vouloir nous aider dans la tâche. Je lève alors les yeux vers mon ami pour ajouter :

C’est pourquoi je veux enquêter sans nous engager dans aucun combat. Si nous parvenons à trouver des preuves que cette situation est totalement anormale, nous pourrons alerter nos Shīfù et peut-être même le Zōngzhu de ce qui ne va pas. Sans preuve, personne ne viendra et d’autres cadets viendront. Peut-être qu’alors il pourrait y avoir des pertes inutiles. Je veux l’éviter.

Et ce même si cela venait à me retomber dessus. Cela importe peu. Si je suis la victime de mes propres décisions, c’est plus facilement gérable qu’entendre dire que d’autres en ont payé le prix. Je soupire donc doucement avant de conclure :

Ce ne serait pas une bonne chose de laisser les choses telles qu’elles le sont dans tous les cas.

Mon regard reste sur Huǒ Yín Húdié dont je souhaite également l’avis malgré tout. S’il insiste pour rentrer sans prendre de risque, peut-être pourrais-je obtempérer et aller voir mon père pour lui parler de la situation. Mais m’écouterait-il ? Quel poids aurait ma parole sans preuve ? Sans autre rapport que ce qui avait déjà été rapporté précédemment ? Dans le doute, je crains la possible insistance à laquelle je pourrais bientôt faire face.

Il semblerait que j’ai réussi à faire comprendre mes intentions à mon Shidi, bien qu’il soit visible qu’il n’est certainement pas totalement convaincu. Il est très proche, ce qui me permet de voir la jolie couleur de ses yeux. Cette couleur légèrement changeante à la lumière qui m’a fait oublier la légère douleur dans mon poignet quand je parlais. J’aimerais pouvoir le convaincre totalement, mais que pourrais-je dire pour cela ? Je doute qu’il se laisse faire si facilement. Il a l’air tellement soucieux… Mais pourquoi avoir cherché à mettre la priorité sur mon envie personnelle de partir ou non ? Il ne semble pas se préoccuper des autres en général, pourtant ce n’est pas la première fois qu’il me donne cette opportunité de laisser tomber un problème qui pourrait me mettre mal à l’aise, un casse-tête qui n’apporterait que plus de tracas. Je ne peux lui en être que reconnaissant, bien que ce genre d’attention soit troublant.

Nos regards se tournent vers notre destination d’où viennent nos pressentiments et nos doutes. Comment pourrions-nous nous sentir à l’aise quand l’air semble si malsain ? Puis, pris de court, je regarde mon ami à l’air détendu qui exprime une pensée que je ne suis pas certain de comprendre dans sa totalité. Et, surtout, une pensée difficile à avaler, que je ne veux pas accepter. GusuLan est-il vraiment en train de tomber dans la déchéance ? Suis-je en train de suivre ce même chemin ? Je crains tellement cette possibilité que je commence une introspection rapide que je continuerais certainement lorsque je serais posé à YuShen Buzhi, une fois que cette mission serait menée à terme, ou au moins cette enquête. Mes pensées sont toutefois stoppées par une proposition violente mais bienvenue. Cela me fait rire alors que je réponds doucement :


J’y penserais, ce serait vraiment dommage que ta bonne volonté ne trouve pas bon preneur.

Toutefois, il n’était pas très juste de penser que je n’aimais pas me battre. Du moins, il est vrai que me battre juste pour une démonstration de force ne fait pas partie de mes loisirs. Par contre, m’entraîner et combattre quand il le faut ne me débectent pas vraiment. La clé est de savoir si c’est nécessaire ou non. Dans le cas de nos condisciples, il semblerait qu’ils manquent de discipline et cela a tendance à m’agacer. Mais à quelle situation pense-t-il exactement ? Je n’ose pas lui poser la question, préférant me concentrer à nouveau sur notre objectif.

La marche en direction du cimetière est calme. Sans doute trop calme. Comme si la population avait décidé de rester le plus loin possible des lieux bien que des habitations semblent proches. Et cette odeur…


Restez sur vos gardes. Si vous croisez des cadavres, vous pouvez les combattre. Mais n’allez pas trop loin et faites part de tout ce qui sort de l’ordinaire. Restons groupés.

Moi-même ai ma main posée sur la garde de mon épée, prêt à agir. Mais lorsque nous arrivons sur place, rien. Aucun cadavre ne semble présent. Pire ! Quand je m’approche des tombes, j’ai l’impression qu’elles ont toutes été fouillées, dépouillées de leur défunt. Tous mes muscles sont tendus et je peine à respirer alors que je ne veux pas croire l’idée qui me vient. Cela ne peut pas être possible… Les villageois nous en auraient parlé si une personne était derrière tout cela, n’est-ce pas ? La gorge serrée par l’angoisse, envieux de faire demi-tour à cause de ce mauvais pressentiment, je demande :


Quels sont vos avis ?

Je ne peux que prier pour qu’ils me donnent tort. Mais plus je regarde avec attention les lieux, plus l’évidence saute aux yeux. Même les trois autres sont mal à l’aise et ne semblent pas oser parler de crainte que leurs craintes deviennent réalité. L’un d’eux prononce même les mots “c’est impossible” d’une petite voix que j’ai du mal à capter, rendant la situation plus angoissante encore. Devrais-je nous faire rentrer au quartier général ?

La réponse qui semble se profiler ne m’aide pas. Non, il aurait été préférable que cette ombre reste un esprit. Cela aurait bien plus gérable que ce que je devine être notre ennemi actuel. A moins qu’il ne soit parti, mais puisque les tombes semblent avoir été fraîchement retournées. Yín Húdié, ne pouvais-tu pas me laisser le vague espoir que j’ai tort ? Je ne lui en veux pas. Mais je ne peux m’empêcher d’être encore plus paniqué à l’idée que nous puissions faire face à un utilisateur de Yuan Qi. Comment pourrions-nous… ?

La première chose que je ressens en m’éveillant, c’est la chaleur d’un lit. C’est réconfortant, mais je n’arrive pas à me sentir en sécurité. Je n’arrive pas à ressentir autre chose que de la peur. Tant et si bien que je n’ose pas ouvrir les yeux. Je n’ose pas regarder où je me trouve. Pourtant, j’aimerais savoir où tu te trouves, si tu vas bien. J’aimerais découvrir que tout ce que nous avons vécu n’était qu’un horrible cauchemar. Penses-tu pouvoir me le prouver ? Penses-tu que je peux ouvrir les yeux sans découvrir que ce cauchemar est une réalité ? D’ailleurs, où es-tu ? Puis-je t’appeler sans que cela nous apporte le moindre problème. Yù Tiān… Aides-moi… Je t’en supplie, aides-moi…

Je me sens légèrement rassuré en entendant ta voix. Quand je t’entends m’appeler. Ma respiration est ainsi la première à te répondre par la légère inspiration que je prends, prêt à ouvrir les yeux pour te voir. Mais je m’arrête avant d’initier le geste. Je sais que je ne peux pas te laisser sans réponse. Alors, doucement, dans un murmure que j’ai extrêmement peur de voir entendu :


Yù Tiān…

Est-ce que tu m’as entendu ? Ou es-tu trop loin pour ça ? Je vous en prie, faites que tout soit vraiment passé, ou mieux que rien ne se soit passé, pour que je puisse enfin ouvrir les yeux sur un pavillon de YuShen Buzhi. Est-ce bien là que nous sommes ? Hein, dis-moi, réponds-moi, y sommes-nous ?

Si tu savais combien je suis terrifié, Yù Tiān… Si tu savais combien j’aimerais tout simplement oublier tout ce qu’il s’est passé… La mort de nos condisciples, les souffrances et… le sang que j’ai désormais sur les mains. Le fait que j’ai été un très mauvais chef de groupe… Yù Tiān… Qu’aurais-je dû faire ? Quelles étaient nos autres possibilités ? Le sais-tu ? Sincèrement, tu aurais certainement fait un bien meilleur chef que moi. Tu m’as sauvé la vie, notamment lorsque j’allais suivre les deux autres. Bon sang… Et dire que tu as certainement perdu un oeil par ma faute… Pourras-tu me pardonner ? Je n’ai pour le moment rien fait pour que tu le fasses. Je ne sais même pas si je peux faire quoi que ce soit. Mais si tu ne le peux pas, alors je devrais peut-être penser à une reconversion vers la bibliothèque ou quelque chose du genre afin que je ne touche plus jamais mon arme de ma vie, pour que je ne mette plus jamais la vie des autres en danger. Après tout, c’est moi qui, sans vous concerter, aie choisi cette mission en pensant qu’elle était urgente alors que nous n’avions pas les moyens de la terminer seuls. J’aurais dû t’écouter quand tu m’as proposé de rentrer. Je regrette toutes ces mauvaises décisions… Je regrette tellement…

Je n’ai pas rêvé. Tu es bien là. Mais tu as entendu mon appel. N’aurait-il pas été mieux que ma voix n’ait pas été plus basse ? Pourquoi me prendre ainsi la main et me parler avec autant de douceur ? Ne devrais-tu pas m’en vouloir pour tout ce qu’il s’est passé ? Ne devrais-tu pas me parler durement ? Ne devrais-tu pas m’imposer d’ouvrir les yeux pour que je te regarde en face afin que tu puisses pleinement me faire des reproches ? Alors, pourquoi ne le fais-tu pas ? Pourquoi, au lieu de ça, tu cherches à me rassurer ? Pas que je ne sois pas heureux de savoir que nous sommes de retour à la maison, mais je ne le mérite pas. Ta voix est si rauque… Mais quand tu me parles, j’ai l’impression que tu me caresses… Et, comme si tu ne m’en voulais vraiment pas, voilà que tu me caresses la main que tu tiens entre tes doigts. Si tu savais combien je m’en veux encore plus en te voyant si doux avec moi… Si tu savais…

Lentement, j’ouvre les yeux sur toi. Évidemment, j’aurais dû me douter que tu aurais un bandage sur ton œil vu la blessure qu’il t’a fait. J’ai du mal à garder mon regard sur toi. Pour ne pas dire que c’est impossible que je continue de te regarder en face tant j’ai honte, tant je me sens coupable. Pour cacher tout ça, malgré mes tremblements, je me relève aussi rapidement que possible pour me blottir dans tes bras. Je veux cacher mon visage de tes yeux observateurs. Je voudrais peut-être même que tu me repousses. Je le mériterais tellement ! Tout comme ça me ferait tellement mal…


Comment te sens-tu ?

Sincèrement, si tu ne me repousses pas, si tu ne veux pas m’en vouloir, alors je vais essayer de me racheter de moi-même. En prenant soin de toi. En t’aidant à apprendre à vivre avec un œil en moins. … Je te demande pardon… J’aimerais également essayer d’oublier tout ce que j’ai en tête et notamment mes propres blessures en faisant ça. Je préfère vraiment me focaliser sur toi si tu me le permets. Je t’en prie… Laisse-moi m’oublier un moment, le temps que ça passe et que je puisse me reprendre.

Suis-je en train de t’énerver ? Puisque tu sembles peu content de ce que tu découvres chez moi, ce ne serait pas étonnant. Je ne suis pas brave. Je ne sais pas gérer les urgences dans lesquelles des vies sont en jeu. Je suis incapable de gérer ma culpabilité, ce qui m’empêche actuellement de te regarder en face. Je ne suis pas spécialement gentil non plus puisque mon attention à ton égard n’est pas seulement par inquiétude, mais aussi parce que je veux totalement m’oublier. Éviter de penser à tout ce que nous avons perdu, à tout ce qui nous a été volé. Et puisqu’il ne semble y avoir personne d’autre que nous ici… je ne peux qu’imaginer le pire. Tu vois ? Je suis même incapable d’espérer que les autres membres de notre groupe puissent y avoir échappé. Je suis persuadé qu’il ne reste que nous. N’est-ce pas horrible de ma part ? Tu dois être désespéré d’être sous les ordres d’une personne comme ça. De me voir réagir de cette manière. Peut-être même voudrais-tu que je te lâche ? Ce ne serait pas étonnant puisque je ne t’ai même pas demandé la permission de t’enlacer…

Malgré tout, je ne peux pas te lâcher. Les yeux fermés, je te tiens proche de moi, envieux de constater encore et encore combien tu es en vie.Tu es chaud. Tu respires. Tu es là, à mes côtés. Ton cœur bat sous mon oreille. Et tu bouges. Vas-tu me repousser ? Je le mérite tellement. Pourtant, non. Tu me gardes à mes côtés, tu m’enlaces à ton tour pour me serrer contre toi. Pourquoi trembles-tu ? A moins que ce soit moi ? Ce ne serait pas si étonnant et le fait d’être proche de toi est effectivement une raison pour que je puisse le sentir. Si c’est le cas, alors, toi aussi ? Ce que je peux être pathétique alors que j’essaie désespérément de te cacher mon état si misérable.
Je n’aime pas savoir que tu te sens mal. Tu as beau dire que tu vas bien malgré tout, je sais que tu dis ça juste pour que je ne m’inquiète pas. Tu ne peux pas aller aussi bien que tu le dis. Tu as perdu un oeil parce que je n’ai pas réussi à te protéger. Tu dois avoir mal à la gorge puisque ta voix est éraillée à ce point. Sans parler du reste… Nous avons combattu pour nos vies. Moi aussi, tout mon corps me fait mal. Je sens combien je suis en vie. N’est-ce pas la même chose pour toi ? Alors pourquoi me le cacher. S’il te plaît, laisse-moi prendre soin de toi. Je ne te ferais pas de mal, je te le promets. Alors, juste quelque temps, ne me cache rien te concernant…

Voilà maintenant que tu me demandes comment je vais. Je t’en prie, non. Ne m’oblige pas à me concentrer sur moi. Je ne suis pas remis. Je ne veux pas découvrir à quel point je suis… Même y penser me fait trembler un peu plus. Alors, non, ne m’oblige pas à y penser. Mes doigts se serrent un peu plus sur tes vêtements alors que mes sourcils se froncent. Je me force à sourire quand même pour te répondre avec une positivité que je ne ressens pas du tout :


Moi ? Je vais très bien. Vraiment…

C’est si faux. Me connais-tu assez pour le deviner ? Mes parents et ma fratrie me diraient déjà de ne pas mentir et de les regarder dans les yeux. Certains m’y obligeraient même avant de reposer la question. D’autres sont plus doux. Mais tous sans exception savent qu’il ne faut pas toujours me croire quand je dis que je vais bien. Je n’aime pas me sentir aussi faible et démuni. Mais, là, c’est encore pire. J’ai failli à mon devoir. J’ai échoué à protéger tout le monde. Et… j’ai tué un homme. Il a fait de mauvaises choses, mais avais-je l’autorité de lui prendre la vie ? Non ! Bien sûr que non… Alors, de quel droit ai-je… osé… ?

Ta voix, tes mots et ton intonation… Je pense que je m’en doutais au fond de mon cœur que tu n’allais pas me croire, que tu refuserais de voir que je vais bien. Après tout, je ne suis pas du tout surpris. Pourtant, j’ai mal de constater que tu ne me laisseras sans doute pas prendre soin de toi pour ne plus penser. Pour ne pas me rappeler que j’ai tué un homme. Que j’ai mis notre groupe en danger. Que… j’ai fais quelque chose de terrible même si je n’avais vraisemblablement pas le choix. Et je ne souhaite pas non plus penser à mon jindan ou l’utilisation du Qi. Qu’est-ce que cet utilisateur de Yuan Qi m’a fait ? Qu’était donc cette douleur ? Maintenant qu’il est… ai-je de nouveau une chance d’utiliser mon Qi ? Mais, même si c’est le cas, suis-je légitime de le faire avec tout ce sang que j’ai sur les mains ? Je ne veux pas penser à ces nombreuses questions qui, pourtant, devront un jour avoir une réponse pour que je puisse prendre des décisions. Laisses-moi juste ne pas penser, je t’en prie…

Dans le silence que je maintiens sans bouger de tes bras dans lesquels tu me sers si fort, je prie encore et encore pour que tu ne m’obliges pas à penser à tout cela. Prières qui trouvent bon entendeur puisque tu acceptes de me laisser faire malgré que tu saches que je me cache derrière un faux sourire pour mieux prétendre que je vais bien. Depuis quand me connais-tu aussi bien ? Malheureusement, ce n’est qu’un sursis et le soulagement que j’ai pu ressentir face à ta proposition s’évapore aussi sec. Demain sera un jour où tu me tireras les vers du nez, au même titre que les autres membres de ma famille, sans aucun doute. Je ne sais pas ce qui est le pire, à vrai dire et je ne peux m’empêcher de m’en inquiéter. Dire que j’aurais préféré m’occuper de toi pour oublier… Cette idée me semble désormais révolue tant je me sens démuni. Je ne sais même pas comment réagir alors que je sens mes yeux de plus en plus remplis de larmes. Je ne dois pas pleurer. Ce ne serait pas digne. Quoique… puisque je suis indigne, désormais, puis-je transgresser ces règles impliquant le devoir d’avoir le contrôle de nos émotions ? Je ne sais même pas si je pourrais rester…

Tes promesses me font si mal. Puis-je avoir l’espoir que si je n’ai plus ma place au sein du clan tu ne reviendras pas sur ta parole ? Même si je suis vraiment une horrible personne qui ne respecte pas la vie d’autrui juste parce qu’il est en danger ? Très sincèrement, je ne souhaite pas que tu mettes fin à la vie que tu mènes et que tu apprécies peut-être juste pour me suivre dans une errance sans fin. Et cela ne serait que le pire des cas, n’est-ce pas ? Yù Tian, à quel point puis-je croire en ta sincérité, toi qui prétend ne pas être gentil ?


Pourquoi t’accrocherais-tu à moi comme ça ?

Je ne devrais pas parler. Mes questions sont stupides, mais en plus je deviens de plus en plus transparent. Je perds le contrôle de mes émotions, peut-être parce que je me sens protégé dans le creux de tes bras.


Qui serait prêt à tout perdre pour suivre une autre personne ? Tu ne crains pas de tout perdre ?

Je suis plutôt perturbé par la tournure de la conversation, je dois dire. Et par la raison qui me pousse à ne pas vouloir te lâcher. Je sais que je te cherche souvent du regard, comme pour m’assurer que tout va bien pour toi, et que j’ai eu extrêmement peur de te perdre. Mais cela ne peut pas avoir une quelconque incidence sur mon comportement actuel, n’est-ce pas ? Quoi que… Qu’en sais-je ? Je sais simplement que je suis bien mieux ainsi que seul, sans présence rassurante à mes côtés, pour te lâcher. Je me demande si tu accepterais de me garder plus longtemps. Non. Je ne dois pas. Tu es toi aussi blessé ! Comment ai-je pu oser le mettre après tout le reste ?! Tu as besoin de repos. Il faut que je te lâche. Et, pourtant, je n’en ai pas la force… Pardonne-moi d’être si faible pour l’instant… Juste pour quelques minutes… Suis-je trop égoïste ? Trop faible ? Pourquoi ne suis-je pas capable de garder le contrôle ?

Il faut que je me reprenne. Pour un chef de groupe et fils d’un éminent chef de clan, je suis vraiment pitoyable. Même moi, je ne me reconnais pas. Je voulais te soutenir, t’aider, peut-être même te consoler pour oublier tout ce qui nous est arrivé et enfermé au fond de mon cœur tout ce qui pourrait me faire tomber. Au final, je me retrouve à déprimer dans tes bras en espérant que tu ne le verras pas trop. Quelle bêtise ! N’importe qui peut voir que je suis celui qui sombre dans la noirceur de la déprime et du désespoir. Personne ne pourrait croire le contraire, alors pourquoi ai-je donc voulu m’en persuadé ? Justement pour tenir le coup ? Et mes questions ne font que suivre cette ligne directrice qui semble vouloir me mener droit dans les tréfonds de la souffrance et de la solitude. Te connaissant, ce ne serait vraiment pas étonnant que tu me laisses tomber en arguant que je suis bien trop pathétique. Pourtant, tu restes et me sers fort contre toi, comme si tu avais peur que je m’en aille pour toujours. Tu me parles sans élever la voix et tu m’écoutes débiter toutes mes bêtises comme si tu ne t’en lassais pas.

A mes dernières questions, sans doute les plus farfelues, tu me réponds que seul un fou prendrait un risque de tout perdre juste pour me suivre après avoir rit sans que je ne puisse y déceler la moindre petite once de joie. Un fou, hein ? Alors insinue-tu que tu es fou ? Je dois t’avouer que ce serait m’accompagner dans la folie. Je ne suis pas sûr d’être sain d’esprit pour nous avoir conduit vers un danger que nous ne pouvions pas maîtriser. Pas sans perte, en tout cas. Puis… je suis conscient que mes mains sont tachées de sang et, ça, je ne peux pas le supporter. Prendre une vie était quelque chose que je pensais ne jamais avoir à faire de toute ma vie. J’étais plutôt déterminé à sauver des vies ! Mais en ai-je toujours le droit désormais ? J’en doute tant.

Je ne te réponds pas quand tu m’appelles par mon nom de courtoisie, plongé dans mes pensées. Je le reconnais. Ce n’est pas le souci. Seulement, il est prononcé par des personnes qui ne sont pas proches de moi ou dans des lieux qui ne permettent aucune intimité. C’est pourtant ce dont j’ai besoin actuellement : la présence d’une personne qui me soit proche et en qui je peux avoir pleinement confiance. L’es-tu ? Oui, tu l’es, et tu me le prouve en m’appelant par mon nom de naissance pour me faire comprendre, entre autres, que nous ne sommes plus des inconnus depuis bien longtemps. Il est vrai que je te connais assez pour avoir une idée assez claire de la manière dont tu fonctionnes. La réciproque est très certainement vraie. Et que tu restes ainsi à mes côtés, que tu me soutiennes et tentes de me maintenir la tête hors de l’eau. J’aime vraiment ta franchise à toute épreuve, et encore plus en ce moment difficile. Bien sûr, je pourrais trouver cette aide auprès de ma famille, mes parents, mais il me semble extrêmement important que tu sois cette personne.

Je ne veux pas que tu me lâches. Pas maintenant que j’ai l’impression que nous sommes vraiment complices et que j’ai compris que tu ne m'abandonneras pas. Cela peut sembler contradictoire, pourtant je ne souhaite ressentir que la chaleur émise par mes proches pour me permettre de m’effondrer, même un instant. Pourtant, tu m’obliges à te regarder alors que je ne voulais pas voir le résultat de la pire décision que j’ai prise de ma vie entière. Tu m’oblige à voir que l’un de tes yeux est très possiblement crevé. Tu m’obliges à faire face à mes souffrances. Cela alors que ton œil désormais unique ne quitte pas mon visage même pour une seconde. Même lorsque tu me demandes de bien t’écouter, tu ne me lâches pas. Je me sens mal, coupable, mais je t’écoute comme je le peux. Je prête toute l’attention dont je suis capable dans mon état et, ainsi, je peux être témoin de la plus belle déclaration d’amour dont j’ai pu être témoin. A moins que cela ne soit un simple vœu de fidélité. Dans les deux cas, tu me fais bien comprendre que tu resteras toujours à mes côtés, que je le veuille ou non. Pour me soutenir. Pour m’aider. Pour… toi aussi. De ce que je comprends, tu ne comptes pas me laisser le choix. Je devrais être révolté par ce manque de liberté, non ? Pourtant, il n’en est rien. Je ne ressens pas de gêne par rapport à tout ce que tu m’as dit. Au contraire, j’aimerais vraiment que tu te rappelles pour toujours ce que tu viens de me dire.

Je me sens un peu plus détendu alors que tu me prends à nouveau dans tes bras. Je sens encore la douceur de tes lèvres sur son front. Puis-je interpréter ce geste comme je le souhaite ? Puis-je moi aussi me montrer aussi égoïste que tu sembles vouloir me faire croire que tu l’es ? Je ne te le demanderais pas. Dans le pire des cas, tu me repousseras et ce ne sera qu’une preuve supplémentaire qu’il faut que je m’arrête là. Dans le meilleur des cas… tu resteras effectivement à mes côtés jusqu’à la fin de mes jours. Fort de cette pensée, je me relève doucement sans me détacher totalement de toi et, précautionneux à cause de ta blessure, j’approche mon visage du tien en glissant mes bras afin de les enrouler autour de ton cou. Puis, fermant les yeux, j’unis tendrement nos lèvres dans un baiser chaste, peut-être un peu timide, et court. Lorsque je termine, mes yeux se baissent alors que j’avais la volonté de regarder ta réaction. Je me sens si mal que tu aies été blessé par ma faute. Je me sens d’autant plus malade que trois des nôtres aient perdu la vie à cause de moi. Et je me sens encore pire en sachant que j’ai pris une vie. Heureusement, mes pensées sont encore tournées vers toi.

Je suis heureux que tu sois en vie, Yù Tiān. Et… Je suis vraiment désolé de ne pas avoir réussi à te protéger…

Je ne sais pas ce que tu penses à ce propos. Avec tout ce que tu m’as dit jusqu’à maintenant, je doute que tu m’en veuilles. En fait, sans doute que tu me l’aurais dit si c’était le cas. Je ne parviens juste pas à me détacher de ma propre culpabilité. Elle est bien trop puissante pour ça.