J’ai comme l’impression que ma charge de travail ne fait que s’accumuler un peu plus à mesure que le temps passe. En seize ans, je n’ai jamais eu autant de paperasse à faire. Le pire étant que j’ai beau déléguer, je me retrouve toujours avec cette même quantité dès que j’ai le dos tourné. Yù Tiān n’y est absolument pour rien non plus. Il m’aide même plus que de raison, s’occupant de travaux qui demandent l’aide d’un maître pouvant utiliser son Qi. Ce n’est plus mon cas depuis longtemps, ce qui me donne l’impression de n’être qu’un gratte papier inutile, seulement présent comme une poupée d’apparat. Et ce n’est qu’une petite partie de mes nombreux problèmes… Récemment, j’ai reçu des rapports inquiétants concernant de récentes chasses nocturnes et les agissements de mon fils adoptif. Cet enfant est clairement une représentation de mon mari et moi-même, je n’ai aucun doute à avoir sur la question. Malheureusement, je doute que ce soit une bonne chose. Mon inquiétude concernant sa sécurité et sa santé ne font que s’accroître à mesure que le temps passe… et ma culpabilité n’est pas moindre puisque je suis dans l’incapacité de le rejoindre pour lui donner l’aide dont il pourrait avoir besoin. Alors quand les membres d’un groupe partit en mission à Lanling sont venus me faire un rapport sur un Rôdeur plus fort que la moyenne potentiellement dirigé par un utilisateur de Yuan Qi recherché et que A-Lei aurait tenté de protéger ce dernier, trahissant le clan, je ne peux être que très inquiet. Je ne peux pas croire que A-Lei ait pu nous trahir. Je le connais depuis qu’il est haut comme trois pommes et il a toujours été attaché à nous. Friand des histoires sur nos ancêtres, et notamment Wei Wuxian et Lan Wandji, je doute fort qu’il puisse un jour nous tourner le dos. Tourner le dos à ses héros de toujours. Je serais plus à même de croire qu’il est en réalité en train de suivre leurs traces, cherchant à sauver ceux qui peuvent encore l’être. Pourtant, je ne peux m’empêcher de repenser à la possibilité que cet utilisateur de Yuan Qi ait attaqué nos cadets, ce qui fait balancer mon cœur dans les brumes douloureuses du doute.

Mes yeux sont fermés alors que je suis assis en seiza derrière la table basse qui me sert de bureau dans la pièce que j’utilise pour traiter de ces nombreux documents prise de tête. Tout le monde sait que s’il veut me trouver il peut venir ici. Mes pensées ne cessent d’aller vers ces douloureux rapports qui concernent un membre très important de ma famille, m’empêchant de me concentrer sur tout autre chose. Mon attitude n’en est que plus tendue et mes traits tirés alors qu’ils le sont déjà habituellement à cause de la fatigue qui menace constamment de me faire écrouler. Sans les siestes que je m’accorde dans les bras protecteurs qui m’enlacent de temps en temps, je doute que j’aurais pu tenir jusqu’à aujourd’hui. Combien de temps pourrais-je tenir encore à ce rythme ? L’inquiétude refuse de relâcher son emprise, même lorsque je suis appelé derrière la porte fermée de mon bureau. Je soupire doucement pour relâcher un minimum de pression avant de me lever précautionneusement. Je refuse que quelqu’un d’autre que mes proches me voient dans cet état. D’autant plus qu’il m’est déjà arrivé d’avoir de violents vertiges en voulant me lever naturellement. Montrer une telle faiblesse en étant Zongzhu n’est pas bon pour un clan puisque cela peut faire naître l’inquiétude au sein de la communauté. Et je sais d’expérience que de cela peuvent naître des rumeurs qui circulent bien trop facilement en comparaison avec la difficulté que représente le travail d’endiguer ce genre d’événement. Ainsi, précautionneusement, je me mets sur mes deux jambes avant d’ouvrir moi-même la porte de la pièce. Se trouve alors devant moi une personne assez jeune, certainement un cadet de première ou deuxième classe, qui me tend un courrier. Faisant cela, il m’explique qu’il a croisé A-Lei lors d’une sortie pour une chasse nocturne dont le rapport me parviendra plus tard et que cette missive est de sa part. Je suis heureux de recevoir de ses nouvelles autrement de la bouche d’un autre, mais tout aussi triste qu’il ne revienne pas encore à la maison.

Je remercie le jeune homme venu me trouver pour ça et le laisse partir se reposer avant de rentrer dans la pièce. Seul, je retourne m’asseoir en seiza pour éviter de m’écrouler sans prévenir. Je ne tiens pas à inquiéter ma moitié plus que de raison. Quoiqu’il me semble que c’est déjà possiblement le cas, ce qui n’est pas vraiment pour me plaire. A nouveau, je pousse un soupire les yeux fermés, la lettre posée devant moi. En l’observant, je peux constater que toute personne l’ayant eu entre les mains en a pris grand soin, ce qui démontre une rigueur qui me rend fier. Pourtant, je crains d’ouvrir l’enveloppe et d’y trouver de mauvaises nouvelles. Pourtant, je me dois de le faire, que ce soit par ma position que parce que je suis son père. Ainsi, fermement mais délicatement, je déplie le papier pour découvrir les mots qu’il m’a écrit.

Missive de Lei-An a écrit:Sī Yún, Yín Húdié,

Je m’excuse de mon insolence en vous envoyant un message après ce que vous avez dû entendre sur moi et de ne pas me présenter devant vous pour expliquer mes actes. Sachez qu’à aucun moment mon intention n’a été de trahir le clan ou de l’insulter, ni vous qui êtes comme ma famille.
Il y a peu de temps, j’ai rencontré un utilisateur de YuanQi de mon âge. Malgré son utilisation, je sais qu’il est quelqu’un de gentil et de bon parce qu’il a eu plusieurs fois l’occasion de m’attaquer ou d’attaquer les villageois alors qu’il voulait fuir et qu’il ne l’a pas fait. Il est extrêmement méfiant et agit comme un animal blessé et perdu mais malgré tout, il semblerait que j’ai réussi à avoir son attention. Il accepte de m’écouter et nous avons pu même parler la dernière fois alors que j’étais avec Shun. Il ne fait aucun doute qu’il nous a aidé quand nous avons été attaqués par ce rôdeur qui était étrangement fort par rapport aux autres de son rang.
Chers maîtres, je sais que je prends des libertés qui ne sont pas autorisé parce que je suis un cadet et que j’agis sans votre autorisation mais je vous prie de croire que je n’agis pas pour vous faire offense mais par désir de l’aider et par fierté des enseignements que vous m’avez donné.

S’il vous plaît, ne me demandez pas de rentrer maintenant. Je sais que je peux réussir à l’aider et à lui offrir une autre voie comme vous avez fait pour moi lorsque vous m’avez pris à vos côtés il y a maintenant tant de temps de cela.
J’espère que vous vous portez bien et que vous prenez soin de vous, je tenterais de rentrer au plus tôt à GusuLan.

Tendrement,
Lei-An.

Attentivement, je relis ce courrier pas moins de trois fois avant de poser gentiment la lettre devant moi, sur la table qui me sert de bureau. Les yeux fermés, je lis les informations que je viens de récupérer avec celles qui m’ont été données il y a peu de temps. En un sens, je connais la sincérité de A-Lei, donc je sais pertinemment que les faits dont il m’a fait part sont ceux qu’il a vu et non entendu dire. Il est donc réellement possible qu’il ne fasse qu’aider une personne à qui il est encore possible de tendre la main. Pourtant, je ne peux m’empêcher à nouveau de sentir le doute m’envahir. Après tout, nous ne possédons aucun moyen fiable permettant de connaître l’imprégnation d’une personne par le Yuan Qi, et encore moins le danger qu’elle représente. Tout cela ne représente que le résultat de nos impressions en général. Sauf que nos instincts peuvent nous tromper. Et même quand ils tombent dans la justesse… il n’est pas toujours simple de savoir quand la ligne de non-retour vient d’être franchie.

Fatigué, je porte une main à mon front tandis que mes coudes sont posés sur ma table. Une position peu convenable mais qui dépeint facilement ma fatigue mentale. Actuellement, je suis conscient de ne pas pouvoir faire quoi que ce soit de productif et je doute que mon bras droit soit heureux de me voir travailler dans mon état. Je préfère donc attendre patiemment que ce dernier ait terminé de distribuer les prochaines chasses aux groupes disponibles, tâche attribuée par mes soins, pour lui parler de ces nouvelles qui viennent de me parvenir. Je dois tout de même avouer qu’il est risible qu’elles nous aient été demandées seulement quelques heures auparavant par un cadet et ami de A-Lei.

Positionné d’une manière qui m’aurait été fortement reprochée par mes maîtres dans le passé si je m’étais risqué à agir de la sorte, je suis totalement plongé dans mes réflexions. J’aimerais savoir quoi faire concernant mon fils. J’aimerais connaître la raison de cette incompétence qui semble ne toucher que la paperasse. J’aimerais… passer plus de temps avec l’amour de ma vie. Parce que, quoi qu’on en dise, je passe finalement toutes mes journées à me décarcasser pour le bien du clan. Si seulement la moitié de ces personnes ayant la possibilité de trouver le temps de rire, se plaindre et me mettre des bâtons dans les roues pouvaient comprendre ma situation. Si seulement ils pouvaient prendre en compte la charge qu’ils mettent sur mes épaules quand ils viennent me voir pour me faire part d’un nouveau problème. … Finalement, peut-être ne sont-ils pas incompétent que pour la paperasse. Non, c’est vrai. Il arrive aussi régulièrement qu’on vienne me voir pour des combats difficiles à stopper ou des conflits triviaux qui ne trouvent aucun terrain d’entente alors que la solution pour chacun d’entre eux est si simple. Je ne comprends pas. Et A-Lei… Je comprends qu’il veuille aider, mais pourquoi ne nous demande-t-il pas de l’aide ? Pourquoi doit-il toujours agir en solitaire ? N’a-t-il pas confiance en nous ? Ou alors…

Me faisant très légèrement sursauter, je sens une étreinte que je reconnaitrais entre mille même en restant les yeux fermés. Comme à chaque fois que je suis dans cet état, je ne l’ai pas entendu s’approcher de moi. Je me demande s’il est là depuis longtemps. A-t-il cherché à me parler ?


Yù Tiān…

Doucement, je me blottie dans ses bras en le laissant apaiser la tension que j’ai accumulée et mes pensées. C’est vraiment impressionnant. A chaque fois qu’il me prend dans ses bras, c’est comme si plus rien ne me touchait. Bien entendu, c’est faux. Disons plutôt que je me recentre automatiquement sur moi-même et ma famille. Et, avec la fatigue que j’accumule, je sens automatiquement mes yeux s’alourdir. J’aimerais ne pas être ainsi et lui accorder plus de temps. Plus de conversations… Mais lui aussi me demande de me reposer, tout en m’ordonnant de ne plus travailler pour les trois prochains jours. A vrai dire, je ne suis plus en état de contester quoi que ce soit. Peut-être est-ce pour ça que je lui réponds aussi simplement que ça :


Mn…

Je sens que je vais m’endormir. Mon corps est de plus en plus lourd, au même titre que mes paupières. Au point que j’ai l’impression que mon environnement devient de plus en plus flou et noir. Ce qui m’empêche encore de me laisser aller est que je veux dire quelque chose d’important à mon amour. Après tout, il est également concerné. C’est donc d’une voix endormie est lente que je lui dis doucement :

Sur la table… Une lettre de A-Lei… pour nous…

Incapable de tenir plus longtemps, je m’endors profondément dans les bras de Yù Tiān. J’aurais aimé être témoin de sa réaction à la lecture, même si je peux deviner qu’il ne va pas apprécier du tout de savoir qu’il est à la poursuite d’un utilisateur de Yuan Qi. Peut-être même va-t-il me demander de l'autoriser à lui courir après ? Je sais qu’il ne me laissera pas sans me le dire avant, c’est ce qui me permet d’être si détendu, de m’endormir pendant plusieurs dizaines de minutes sans craindre la solitude.

Je ne me rappelle plus vraiment du moment pendant lequel je me suis endormi. Tout ce que je sais c’est que j’étais dans les bras de Yù Tiān. Je crois que je lui ai dit quelque chose mais… qu’était-ce ? Je me demande s’il a lu la lettre de A-lei sur mon bureau. A-Lei… que pense-t-il de nous ? Que sommes-nous pour lui ? Je me rappelle qu’il m’a dit deux ans auparavant que nous étions à ses yeux une source de force. Mais est-ce tout ? Ne sommes-nous que cela pour lui ? Y a-t-il tant de distance entre nous bien que nous soyons ceux qui l’ont élevé depuis la mort de ses parents en compagnie de Wen Ning ?

Me tirant de force de mes pensées, je sens les lèvres de mon amour s’unir aux miennes dans un baiser que je lui rends avec plaisir et amour. L’une de mes mains se perd alors automatiquement dans ses longs cheveux détachés. Ils sont doux et ses lèvres chaudes. Combien de temps n’avons pas pris quelques minutes de cette manière ? J’aimerais que nous restions ainsi pour une très longue durée, d’autant plus que je ne veux pas reprendre le travail qui m’incombe en tant que Zongzhu. Je ne supporte plus cette situation qui semble vouloir s’envenimer chaque année, chaque jour, un peu plus. Mais je sais que je ne pourrais pas faire autrement que me détacher de cette étreinte protectrice. Ce qui me rassure un peu c’est que Yù Tiān semble penser de la même manière que moi. Il me donne l’impression de ne pas vouloir me lâcher et que cette force utilisée n’est pas renforcée juste pour éviter de me briser. Comme je le comprends. C’est pourquoi je me blottie un peu plus contre lui en enroulant doucement mes bras autour de son cou pour lui donner un peu plus de ma présence, mon soutien et mon amour. Quand sommes-nous tombés dans cette routine qui nous sépare autant ? Quand avons-nous commencé à ne plus nous voir autant que nous l’aurions voulu ? Quand ai-je oublié de prendre soin d’eux autrement qu’à travers le clan ? Je commence à m’en vouloir en me rendant compte que je n’en ai pas la moindre idée.

Dans cette étreinte chaleureuse, je ne peux empêcher des larmes d'embrumer mes yeux en écoutant la proposition de Yù Tiān. Je comprends qu’il a lu la lettre de A-Lei et qu’il ne peut plus supporter cette situation, lui non plus. En même temps, il m’a déjà fait une telle proposition quand un groupe est venu nous faire son rapport, l’accusant d’être un traître. Maintenant que j’y pense, je préfère savoir qu’il veut aider un utilisateur de Yuan Qi plutôt que le tuer. Pourtant, j’aimerais moi aussi aller le chercher. J’aimerais m’assurer par moi-même de son état d’esprit, qu’il va bien et qu’il ne prend pas de risques inconsidérés. Puisque les personnes de son âge ne sont pas capables de le raisonner, peut-être que nous qui sommes “comme sa famille” pourrons avoir plus de poids. Alors, quand mon amant précise que je serais avec lui et que le but de ce voyage est d’aller chercher notre fils, je fonds doucement en larme en le serrant un peu plus contre moi. Je mets quelques secondes avant de répondre d’une petite voix légèrement brisée par mes doux pleurs :


Oui… Oui, allons le chercher… Je ne veux plus seulement l’attendre et prendre les décisions sans voir les choses par moi-même. Je ne veux plus rester là… Je veux le ramener à la maison et l’aider moi aussi…

Je ris doucement en me calmant un peu avant de constater dans un sourire amusé et doux à la fois :


J’ai l’impression de répondre à une demande de mariage.

Si seulement c’était simplement ça… Sans doute me sentirais-je un peu moins mal. Peut-être aurais-je un peu moins l’impression d’avoir la gorge en feu. Peut-être n’aurais-je pas l’impression d’être sur le point de perdre une personne chère à mes yeux. C’est donc plus calme que je lui demande sans parvenir à cacher la totalité de mes craintes :


Nous lui ferons comprendre combien il est important pour nous, n’est-ce pas ?

J’aimerais être certain que Yù Tiān n’est pas trop en colère contre A-Lei pour oublier de lui faire cette précision. J’espère qu’il ne m’emmène pas pour lui montrer combien ses actions peuvent nuire au clan. J’aimerais vraiment m’en aller en tant que parent et en tant que personne. Oublier pendant un temps ce rôle qui me pèse bien trop.

Je n’ai pas l’impression de pouvoir aider A-Lei de quelque manière que ce soit. Pas activement. Et les mots ont leur limite. Celle que j’ai peut-être depuis longtemps passée, ce qui expliquerait pourquoi il ne me parle plus de ses problèmes. Pas avant d’être enlisé dedans. Pas avant de mettre sa vie en danger. Pourtant, j’aimerais que Yù Tiān ait raison et que je puisse faire quelque chose. Un espoir que je pourrais contester de mille et une façons, mais que je préfère cacher derrière un amusement bref. Maintenant que j’y pense, il est vrai que nous vivons comme un couple marié, mais que nous n’avons pas formulé nos vœux en bonne et due forme. Je me demande si mon état lamentable ces seize dernières années a été en cause. Avons-nous eu le temps de nous poser ? D’en parler ? Cela me semble faire une éternité que nous ne nous étions pas réellement retrouvés, que nous avons parlé comme maintenant. Moi dans ses bras protecteurs, sa voix chaleureuse et grave chuchotant à mon oreille… C’est tout ce dont j’ai réellement besoin, pourtant j’ai l’impression de m’en être privé plus que de raison.

J’ai l’impression de perdre le sujet principal de notre conversation à cause du bonheur que m’apporte le réconfort des puissants bras qui me serrent fortement. Je me force donc à y revenir en demandant si nous pourrons dire à A-Lei ce qu’il représente à nos yeux quand nous le retrouverons. Je crains de me laisser porter par mes émotions et d’aller trop loin, de trop en faire. Je crains d’agir un peu trop comme un père, ou pas assez puisqu’il ne nous considère pas comme tel, et non en tant que chef de clan, lui donnant un traitement de faveur un peu trop poussé. Des craintes rapidement repoussées par les lèvres de mon amant qui m’a aidé à me redresser avant que mes pensées n’aillent plus loin. Ce n’est pas le moment, pourtant je m’abandonne à lui tout en m’accrochant à son cou, bien trop heureux de ce contact. Un baiser un peu trop court à mon goût avant que je ne sois ramené à la réalité. Une main sur celle qui caresse ma joue, je soupire de soulagement. Finalement, je suis de nouveau dans le juste, sur le droit chemin. Il est si difficile de ne pas être reconnu par l’enfant que nous ressentons être le nôtre. Maintenant je sais que Yù Tiān pense exactement la même chose que moi sur le sujet. Oui, nous allons le chercher et lui dire une bonne fois pour toute ce que nous avons sur le cœur. Je ne peux plus continuer à le regarder de loin jusqu’à ce que je doive agir en tant que Zongzhu.

Les yeux fermés, je me laisse dorloter en me forçant à ne pas me blottir à nouveau dans ses bras pour ne plus le lâcher de la journée. Je ne peux pas me le permettre pour le moment. Je dois absolument… Pourtant c’est lui qui me prend de nouveau contre lui avec force. Riant silencieusement, je me permets de faire ce dont j’ai envie, toujours les yeux fermés. Pourquoi n’avons-nous rien fait avant ? Pourquoi avons-nous laissé nos blessures et nos difficultés nous séparer plus que de raison ? Est-ce que je lui ai manqué autant que…
… J’ouvre soudainement les yeux, réalisant avec peine la proposition qui vient de m’être faite. Mais, trop heureux pour pouvoir accepter qu’il s’agisse d’une plaisanterie, je souris de bonheur et hoche la tête alors qu’il me serre plus fort encore contre lui. Et, lui flattant le dos avec tendresse, je réponds avec émotion :


Oui, moi aussi j’ai envie de le montrer à nos ancêtres. Moi aussi je veux passer le reste de mon existence à tes côtés.

Je vais finir par pleurer si cela continue. Pourtant, dans les bras de mon amour, je commence déjà à planifier ce voyage que nous allons faire, et notamment la fin de celui-ci pour unir nos vies. Je demande alors avec douceur et précaution :


As-tu un temple familial ?

Personnellement, il y a celui de mes ancêtres qui me semble adapté à nos envies, mais je souhaite avant tout connaître la situation de son côté. Je suis au courant que son enfance n’a pas été simple jusqu’à ce qu’il rejoigne le clan. Mais je n’ai aucune idée à quel point. Ah… On s’éloigne encore du sujet concernant A-Lei. Alors, s’il m’en laisse l’occasion, je lui demande :


Quelle punition devrions-nous donner à A-Lei, cette fois ? L’enfermer ne semble pas suffire pour qu’il prenne conscience des risques qu’il prend.

Et être trop sévère pourrait l’amener à s’éloigner de nous plus qu’il ne l’est déjà. Ce n’est pas ce que je souhaite. Définitivement, j’aimerais le voir s’épanouir en prenant soin de lui, à nos côtés.

Vraiment… Je ne m’attendais pas du tout à une telle réponse. Parce que, même si je savais déjà que tu as vécu une vie difficile, je n’imaginais pas que cela puisse être à ce point. Qu’importe. Je suis déjà très heureux que nous prenions le temps d’unir nos vies même devant nos ancêtres. Cela est très important bien que, dans mon coeur, je suis tien depuis plus de quinze ans. Alors, nous irons dans mon temple familial après avoir ramené notre fils à la maison. Nous prendrons ce temps pour nous, pour parfaire notre bonheur. Je trouve dommage que les couples comme le nôtre ne soient pas acceptés dans le monde qui nous entoure, puisque j’aurais aimé faire une petite cérémonie dans le cas contraire. Mais, d’un autre côté, je ne sais pas si je peux me permettre une telle folie. Ce serait prendre plus de temps qu’il m’est autorisé d’avoir, même si j’aimerais vraiment le prendre pour nous deux, et avec la malchance que j'ai, il ne serait pas étonnant qu’elle soit ruinée par une catastrophe naturelle. On y verrait alors un mauvais présage, n’est-ce pas ? Il vaut mieux donc nous satisfaire de cette union simple mais importante que nous prévoyons.

Serré dans tes bras, c’est comme plus rien ne pouvait m’atteindre. C’est pour ça que je me détends souvent au point de m’endormir. C’est pour ça que j’aime discuter ainsi des problèmes auxquels nous faisons face. De cette manière, je suis certain que rien de mal ne pourra arriver à cause d’une parole que je pourrais dire. Que c’est enfantin. Si tu entendais mes pensées alors que nous passons un bon moment ensemble, rirais-tu de moi ? Ou t’énerverais-tu pour que je me concentre sur le moment présent ? Je préfère que tu n’en saches rien. Du moins, pour l’instant. C’est mieux ainsi, surtout que je ne souhaite en aucun cas gâcher ce beau souvenir que nous sommes en train de fabriquer de nos propres mains. Cela fait si longtemps que nous n’avons pas eu de moment à deux ainsi. Merci, Yù Tiān, de me l’accorder. Et désolé de revenir sur le sujet important qui nous a amené jusqu’ici…

Sans doute aurais-je dû prévoir ton expression ou au moins une partie de tes pensées, en parlant de A-Lei. Je pensais l’avoir fait. Mais le voir ainsi alors que nous venons de passer quelques heureuses minutes est un peu douloureux. Nous n’y pouvons rien, n’est-ce pas ? Cet enfant est un casse-tête qui nous inquiète énormément. Nous voulons prendre soin de lui mais nous n’en avons jamais réellement l’occasion. Comme si nous devions le regarder partir loin de nous en se blessant de toutes les manières possibles. Je me demande quelle expression je t’offre en te regardant avoir peut-être une migraine qui pointe le bout de son nez ? Doucement, je flatte ton dos en espérant t’apporter un peu de soutien et de réconfort. Si seulement je pouvais être un tout petit peu plus utile que ça…
Peut-être vaut-il effectivement mieux y penser un peu plus longuement. Je hoche donc légèrement la tête pour te montrer mon accord avant d’accepter ta proposition.


Avec un peu de chance, il est allé voir son oncle et lui a peut-être donné sa destination.

Cela nous faciliterait grandement la tâche pour le retrouver, mine de rien. Après tout, nous n’avons aucune indication concernant sa destination dans sa missive, ni celle de celui qu’il poursuit.

Un fin sourire illumine à nouveau mon visage alors que j’accueille la tendresse que tu m’offres. Ce que tu peux me gâter quand nous sommes ainsi ! C’est extrêmement plaisant et je pense que je pourrais devenir totalement accro. Peut-être le suis-je déjà puisque, alors que nous nous levons, je ressens une vive douleur venant du regret de ne pas avoir protesté. Encore une pensée enfantine alors que je sais pertinemment que ce n’est pas ainsi que nous pourrons ramener notre enfant à la maison. Mon soupir, à cette constatation, accompagne le tien. Je me tourne alors vers toi pour voir si tout va bien et, gentiment, je te souris en répondant :


J’aime quand tu prends les choses en mains.

Serais-je en train de devenir paresseux ? Ce ne serait pas vraiment étonnant quand on sait combien je travaille chaque jour qui passe…

Pendant que je prépare minutieusement mes affaires, je me rends compte que c’est la première fois que je sors depuis… ce jour fatidique. Je dois t’avouer que je ne sais pas comment je pourrais réagir en cas de crise. Serais-je totalement apeuré ? Tétanisé ? Ou serais-je plus combattif que jamais pour ne plus jamais laisser les événements tragiques que nous avons vécus se reproduire ? Me laisseras-tu utiliser mon Qi alors que tu sais combien je souffre quand j’essaie ? Peut-être aurais-je dû retourner sur le terrain avant de prendre mes fonctions de chef de clan afin de me remettre ? Personne ne l’aurait accepté dans mon état. Ah… Peu importe maintenant.

Alors que je suis sur le point d’annoncer que je suis prêt, j’entends justement toquer à la porte. Comme je te l’ai silencieusement promis, je n’ouvre pas la porte. A vrai dire, je préfère faire comme si j’étais absent pour faire croire que personne n’est dans le pavillon. Je te prends alors par la manche et vérifie que tu as terminé tes préparatifs avant de te montrer la fenêtre pour te proposer sans un mot qu’on parte par là. Cela serait bien plus discret et nous éviterait de perdre du temps. Avec ton accord seulement, je mets mon plan d’évasion à exécution et sort par la fenêtre pour contourner l’invité indésirable malgré le sentiment de culpabilité que je ressens vivement au fond de moi. Et si c’était important ou urgent ? N’aurait-il pas été mieux que j’attende de savoir ce qu’il se passait avant de m’en aller ?

Notre sortie se fait tout en douceur. Silencieusement et grâcieusement, comme si nous étions en chasse. Cela me rappelle de bons souvenirs de ma jeunesse. Une belle époque pendant laquelle je n’avais pas vraiment de soucis à me faire, avant que je ne devienne le chef de mon groupe. Bien sûr, tout n’était pas tout rose. Rien ne l’est jamais. Il n’empêche qu’il s’agissait d’une période très heureuse et que j’aurais aimé vivre un peu plus longtemps. Pourquoi devais-je vivre… ça ? Non, je préfère ne pas y penser et ta main prenant la mienne me permet de l’éviter. Merci de toujours veiller sur moi. J’ai comme l’impression que tu es capable de lire en moi comme dans un livre ouvert. Pourtant, je fais bien des efforts pour garder quelques petits secrets pour moi afin de te préserver un minimum et d’avoir l’impression de te protéger. Je sais pourtant que ce n’est pas de cette manière que je pourrais le faire.

Quoiqu’il en soit, je t’emboîte le pas en direction des montagnes qui nous entourent, nous éloignant de l’entrée. J’imagine que nous aurons plus de chance d’être discrets de cette manière. Pourtant, j’ai cette drôle d’impression de faire quelque chose de mal. Cela aurait-il un rapport avec l’interdiction de faire le mur ? J’ai toujours été extrêmement respectueux de nos règles, aussi nombreuses puissent-elles être. Peut-être est-ce parce que je suis le fils de l’ancien chef et que je me suis toujours fait un point d’honneur de montrer l’exemple ? Cela se pourrait bien. Et voilà que je jette si facilement cet honneur dans les orties dans l’espoir de retrouver notre fils et rester à tes côtés. Je me demande à quel point vous allez vous en rendre compte. Puis, je peux me consoler en me disant que je ne fais rien de mal puisque je le fais pour avoir l’occasion de protéger un membre important de mon clan et ma famille et nous ne sommes pas hors des heures de réveil. A moins que je ne sois simplement en train de m’inventer des excuses afin de mieux supporter le poids de la culpabilité alors que mes doigts serrent un peu plus les tiens.

Nous sommes désormais seuls. Rien que tous les deux et c’est extrêmement agréable. Au point que je pourrais en oublier mon dilemme. Sans doute reviendra-t-il au galop au moment où je voudrais le plus me détendre. Mais qu’importe. Je préfère ne pas m’en soucier afin de profiter de ce moment que nous passons ensemble et de ma toute première sortie depuis seize ans. Je te regarde donc quand tu me demandes de t’accorder une faveur pour te faire plaisir. Qu’est-ce que cela peut bien être ? Ne pas combattre ? Te payer quelque chose ? Une faveur plus… charnelle ? Rien de tout ça. Avant que je ne puisse te demander ce qu’il en est, tu réponds à cette question en m’interdisant de penser au clan ou autre chose qui ne soit pas notre famille. Je suis surpris, mais pas totalement. Cette source de stress est si grande et je suis en train de m’en extirper. Sans doute aurais-je pu te demander la même chose à ta place. Je comprends donc ta demande. Pourtant… je sais combien ça va être extrêmement difficile pour moi de m’en détacher. Je croule chaque jour sous la paperasse, alors je me demande s’il est vraiment possible qu’ils s’en sortent sans nous. Alors pourront-ils vraiment s’en sortir ? Ce que tu me demandes est, mine de rien, extrêmement difficile. Bien sûr que je penserais à nous, à cette famille que nous formons. Je suis bien trop heureux pour permettre quiconque de m’en détourner. Cependant… Le clan est aussi une partie de ma vie et il est impossible que je puisse l’abandonner à un triste sort.

Mon regard se pose sur toi qui me regarde du coin de l’oeil. J’imagine que tu es capable de voir mon trouble. J’aurais préféré te dire sans aucune hésitation que c’est d’accord. Toutefois, ta demande est difficile. Je soupire après quelques secondes en serrant ta main avant de concéder :


Très bien, je ne penserais pas au clan. J’espère juste que ce que tu me demandes relève de l’impossible, ou presque ?

Je ne veux pas me disputer avec toi, c’est pourquoi je n’insisterais pas sur mon besoin de penser au bien-être de ma maison et de la grande famille Lan. J’aimerais tout de même que tu prennes conscience de la difficulté que tu m'impose et que je ne refuse pas. Juste un peu.

Plus détendu une fois ce sujet passé, je souris à ta remarque en gardant dans un coin de mon esprit ce que tu m’as annoncé juste avant ça. Une fuite en amoureux…


N’est-ce pas le cas ? Nous fuyons pour ne pas avoir des problèmes qui pourraient nous empêcher de voyager à terme, et nous sommes en amoureux. Notre but est juste de récupérer notre fils contrairement à ceux qui fuguent pour être ensemble.

J’en viens d’ailleurs à me demander si A-Lei ne s’est pas trouvé un amour “interdit” qui l’amènerait donc à fuir sa famille. Est-ce possible ? J’en doute. Sa missive ne contenait aucun indice qui fasse référence à de l’amour, mais seulement sa puissante volonté de faire le bien autour de lui au détriment de sa propre santé. Je suis partagé sur le besoin de le punir pour cela. Après tout, c’est une bonne chose qu’il veuille aider et qu’il soit aussi altruiste. Cela me conforte dans l’idée que nous l’avons bien éduqué. Mais cela est mal si c’est au point de nous inquiéter ou de se mettre en danger, il faut trouver une leçon qui lui permette de se réguler.


A quoi penses-tu comme punition pour A-Lei ? A part l’enfermer pour toujours au sein du clan, puisque je suis contre. Il ne faut pas quelque chose qui puisse l’emprisonner, mais plutôt ajuster son besoin d’aider autrui. Peut-être en le chargeant de veiller sur un groupe par exemple ? Quoi que, c’est plus une promotion qu’une punition dans nos coutumes.

Je me demande vraiment à quoi tu as bien pu penser, toi. Tu es si sévère avec lui, me faisant toujours comprendre qu’il est parfois très difficile à gérer en terme d’apprentissage puisqu’il est très intelligent, au point qu’il dépasse régulièrement les limites que nous avons fixées pour le bien de tous. Comme lorsqu’il était plus jeune en formant son Jindan. Un souvenir riche en émotions.